mercredi 2 octobre 2013

Prolégomène



Nos âmes vont-elles bientôt devenir dures comme l'épais corsage des oursins de mer ? ( la saillance en moins )
Les lunettes vont-elles définitivement établir leur primat sur les yeux du cœur, qui jadis étaient les miradors des prophéties et des rêves?
L'éclatement de l'Unité primordiale n'aura-t-elle de cesse de se caricaturer elle-même dans  les individuations successives de nos personnalités babyloniennes?
Le relativisme, le cynisme, l'athéisme vont-ils devenir la liturgie de nos infectes gueules d'adolescents sublunaires?
 Je ne sais. Les sciences appliquées se prennent pour des bolides d'airain, embrassant d'un seul coup le présent et l'avenir sans jamais toucher le monde des archétypes où sont serti les images premières de notre être. << Nous crevons de la nostalgie de l'Etre >> comme disait le vieux Léon. J'ai vingt deux ans, et l'humanité me fait de plus en plus songer à une coterie de pestiférés perchée en haut d'un clocher, hululant de misère devant les cieux. Nous remplissons indéfiniment le tonneau des danaïdes sans jamais vraiment savoir pourquoi, s'il fallait blasonner ce siècle, je choisirais Sisyphe poussant son inextinguible rocher comme symbole premier.

Pour ma part je me refuse à me retourner dans les paradis artificiels afin de me suffir des ombres polychromatiques de l'Esprit, je ne veux pas voir les anges et les saints dans un kaléidoscope déformant. Je préfère encore le réalisme froid, tout pur, de mon psychisme aux milles replis océaniques.
Maintenant, venons en aux faits : l'Art est le cor que l'Invisible s'est choisi pour transcrire les antiques mystères sous le hiéroglyphe des œuvres. Je ne crois un artiste que s'il est voyant, toute oeuvre devrait relever de l'oracle. Je hais par dessus toutes ces mélopées égotiques dont l'art contemporain s'enorgueillit incroyablement... Je n'agrandirais pas davantage le fossé dans lequel s'engouffre notre monde imaginal, c'est trop évident.
Ici, il s'agira d'opérations magiques, de bals de campagne extatiques, de possessions triangulaires, de macarisme, d'envol onirique, d'Art. Je censurerai toute patenôtre rationaliste, je suis d'une intransigeance et d'un fanatisme décomplexé. Ceci étant établi ad vitam æternam, mourons au moins un instant dans la lumière du monde, franchissons le rideau mince des formes, retrouvons l'axe souverain par lequel les sages Anciens communiquaient avec les hiérarchies angéliques, déprenons nous de nous mêmes, nous puons c'est urgent, là se trouve l'hygiène minimum.

Prenez les articles qui suivront comme une gorgée d'ambroisie, comme un juron de féticheur nègre. J'aime et salue ceux dont les visages prennent les courbes suaves des piétas devant les chefs-d’œuvre que quelques fils d'Adam ont daignés nous offrir à nous : pauvres pêcheurs.

Elaboration d'une méthode

Ce court essai d'André Roland de Renéville se trouve dans le numéro deux de la revue " Grand jeu " et offre un éclairage considérable sur l'oeuvre de l'illuminé de Charleville. Il y a là, les bases d'une véritable métaphysique de la poésie.

A méditer.


Symbolisme de l'apparition

C'est parce que l'homme ne prête plus son entendement aux supplications théophaniques que son existence pourra bientôt, sans exagération, être rapprochée de celle des crustacés ou des habitants des termitières. Mais ô grâce, quelques âmes encore sensibles à la hiérohistoire  ont bien acceptées de se faire les porte-voix de la Mère de l'humanité :



( Texte lu par Laurent James )

http://parousia-parousia.blogspot.fr/



Après le Déluge

En attendant le prochain Deucalion ( que je souhaite impérieusement ) :







" Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,
     Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
     Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, − les fleurs qui regardaient déjà.
     Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures.
     Le sang coula, chez Barbe-Bleue, − aux abattoirs, − dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
     Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
     Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
     Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
     Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
     Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
     Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym,  − et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
     − Sourds, étang, − Écume, roule sur le pont, et par dessus les bois; −draps noirs et orgues, − éclairs et tonnerres − montez et roulez; − Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
     Car depuis qu'ils se sont dissipés, − oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! − c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons. "

Rimbaud, les Illuminations.

mardi 1 octobre 2013

L'Enfance

Au détour d'une douce charmille, la clameur de l'enfant sauvage tonne toujours :





Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande ; son domaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
     À la lisière de la forêt — les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, — la fille à lèvre d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en-ciel, la flore, la mer.
     Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer ; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets et des jardinets dégelés — jeunes mères et grandes sœurs aux regards pleins de pèlerinages, sultanes, princesses de démarche et de costume tyranniques, petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
     Quel ennui, l'heure du "cher corps" et "cher cœur".

II


     C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. — La jeune maman trépassée descend le perron. — La calèche du cousin crie sur le sable. — Le petit frère — (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'œillets. — Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.
     L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans le midi. — On suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château est à vendre ; les persiennes sont détachées. — Le curé aura emporté la clef de l'église. — Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
     Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'écluse est levée. Ô les calvaires et les moulins du désert, les îles et les meules.
     Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d'une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes.

III


     Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
     Il y a une horloge qui ne sonne pas.
     Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
     Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
     Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
     Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
     Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

IV


     Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine.
     Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
     Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
     Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet, suivant l'allée dont le front touche le ciel.
     Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.

V


    
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief —très loin sous terre.
     Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.
     À une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
     Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l'épaisseur du globe. Peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-être sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
     Aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?


Rimbaud, les illuminations.